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Nous
avions déjà débuté d’égrener l’année 2009 lorsque j’ai croisé pour la première
fois sur le Net une liste des symptômes et manifestations du syndrome d’Asperger.
Je scrutais à l’époque tout ce qui me tombait à portée d’yeux afin de cumuler
des informations pertinentes sur les codes sociaux et la communication. J’avais
identifié que la source de tous mes problèmes avec mes semblables tenait sa
réponse dans mon ignorance de ces fameux codes secrets. Mais des informations
sur les codes sociaux, surtout les codes non-dits et non-écrits, il n’y avait
pratiquement aucune trace ou esquisse à portée de clavier. Comme un bolide de Formule
1 vrombissant en circuit fermé, je tournais immanquablement autour du même
phénomène hermétique : des articles sur le syndrome d’Asperger et sur les
troubles envahissants du développement (TED), tel que nommés à l’époque.
Aujourd’hui, ils ont été rebaptisés TSA (troubles du spectre autistique).
Intriguée de revenir invariablement au même point, j’ai commencé ma lecture.
Ensuite, j’ai cru comprendre, avec inquiétude, la situation. Puis, finalement,
je me suis dit : « Non, non, ce n’est pas moi, je ne suis pas du tout
comme ça. » J’étais soudainement possédée par un indécrassable déni. Je ne
voulais tout simplement pas voir, point final.
Six mois
plus tard, ma vie n’avait pas changé d’un centième de millimètre. Je me montrais
toujours aussi anxieuse en public et effacée dans les turbulentes réunions
familiales. Maladroite et gaffeuse avec mon entourage dès que je daignais
ouvrir la bouche pour cracher des syllabes et des onomatopées. Et j’avais le
sentiment d’être frappée d’une attaque de stupidité naïve lorsqu’il me fallait
adresser la parole à mes contemporains, même à la très automate caissière de
l’épicerie. Pourtant, il me semblait que j’étais assez brillante en solo ou
avec quelques personnes très proches sur un court laps de temps. Mais dès que
d’autres personnes venaient s’additionner, je devenais immanquablement muette
et perdue. Mon cerveau se vidait et je n’avais plus accès à mes bases de
données intérieures. J’ai donc repris mes recherches et je me suis imposé,
cette fois-ci, d’être implacablement lucide avec moi-même. Et j’ai vu, j’ai
relu, j’ai su. J’ai su que j’avais sans l’ombre d’un doute le syndrome d’Asperger.
Et j’ai eu très peur.
J’ai
scruté à la loupe afin de trouver, en vain, le petit élément qui aurait pu me
disculper et me sortir du terrible constat. J’ai cherché ce qui aurait pu me
permettre de croire, enfin, que non, « je n’étais pas ce genre de
personne-là »… Mais plus je lisais, plus j’étais acculée au pied du mur.
Oui, c’était bien moi que tous ces articles et tous ces livres détaillaient.
Ils discutaient de moi, me décrivaient dans mes moindres recoins, et ce, depuis
ma petite enfance; dans les moindres détails clandestins de ma personnalité;
dans ma manière marginale et trop logique de voir le monde; dans mon accent
français sorti de nulle part qu’on pointait du doigt depuis mes premiers mots
prononcés; dans mes sujets d’intérêts obsessifs, de Rimbaud à New York, en
passant par le cinéma allemand des années 20; dans mes maladresses incontournables
avec mes congénères; dans mon absence de filtre conversationnel qui me rendait
parfois insolente ou effrontée sans avertissement; et même dans cette supposée
absence d’empathie face aux souffrances des hommes, femmes et enfants qui
m’entourent.
J’ai
persévéré dans ma quête de la
confirmation de l’autisme durant plusieurs années avant que le diagnostic tombe
officiellement. Juillet 2012 : confirmation officielle des mains d’une
psychologue réputée. J’étais finalement reconnue pour ce que j’étais. Soulagée,
je jubilais d’avoir atteint la destination. Cependant, je me trompais :
l’autoroute était encore bien longue et je ne faisais que m’engager dans une
nouvelle sortie vers un périple inédit…
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