Crédit photo: pixabay.com |
Je suis là, mais je diffère de façon draconienne de l'enfant vive
dont tu rêvais. Mais je suis maintenant dans ta vie et ma différence ne te
laisse pas énormément de marges de manœuvre. Je ne parle pas ou je parle trop,
je fais des sons qui te gênent à des moments malaisants en public ou lorsque tu
es épuisée et impatiente, à bout de tout. Quoi que je fasse ou qui que je sois,
on te répétera à t'étourdir que tu devras faire le deuil d'avoir un enfant
normal. Tu as de la peine, je le sais bien. Moi aussi, j'en ai. Je suis loin
d'être l'être insensible qu'on présage hypothétiquement dans certains bouquins
désuets. Mes silences extérieurs ne sont pas des silences à l'intérieur.
Le corps médical a eu une attitude trop indifférente ou trop
alarmante à ton goût quand ils t'ont annoncé le diagnostic de mon autisme. Tu
liras trois cent cinquante-quatre livres et articles scientifiques contenant
des mots qui te tortureront, qui annihileront tes espoirs. Ils diront que je
suis handicapée, malade chronique et limitée. Que je n'aurai jamais une vie qui
vaut pleinement la peine d'être vécue. Mais si tu m'aimes autant que tu me le
murmures à l'oreille dans nos moments de douceur, tu auras assez de cœur pour
me regarder et m'écouter, moi, au lieu de te laisser enfermer par des idées
préconçues. Je ne suis pas exactement comme ces écrits composés par d'éminents
spécialistes qui m'ont étudiée de l'extérieur.
Tu ne
m'imposeras pas sans avertissement de bruyants lieux, des supermarchés
cacophoniques aux heures de grand achalandage, des restaurants populaires
bondés où on fête avec retentissement des anniversaires archi-joyeux. Tu ne me
pousseras pas avec frénésie dans la foule compacte aux glissades d'eau ou à
Disneyland en te disant « elle va s'adapter comme les autres ». Tu me garderas
donc à l'œil, tout en m'emmenant graduellement, par palier, dans des lieux où
je pourrai me familiariser et m'adapter sans violence. Petit à petit, à mon
rythme, parfois rapide, parfois immobile. Tu joueras de mon besoin de routine
et de familier en intégrant en douceur tout changement. Ainsi, je pourrai sans
doute avancer. Tu m'apprendras de cette manière à gérer mieux mon anxiété et
mes paniques. L'immersion draconienne dans la nouveauté ou dans le tumulte est
un cauchemar atroce pour moi.
Tu veux tout faire pour mon bien, merci à toi. Je t'en suis
reconnaissante, tu veux que je ne manque de rien. Mais par amour pour moi, tu
ne me forceras pas à avoir une vie dans le moule « comme les autres enfants »
juste pour me permettre de socialiser. Je ne sais pas comment me comporter
comme les autres attendent de moi et je ne le fais surtout pas exprès. La
socialisation spontanée n'arrivera probablement jamais ou si peu. Plongée dans
les groupes sociaux, souvent, je ne ferai que me faire tenailler davantage mes
ailes sans apprendre à me défendre, ou en le faisant maladroitement et en
devenant brusque jusqu'à être perçue comme agressive.
Je n'ai parfois pas envie de jouer avec les autres enfants ou
quelquefois je le veux, mais de manière brève. Je ne suis pas mauvaise pour
autant. Ma solitude ne doit pas faire pitié, car pour moi, elle est importante.
Elle n'est jamais synonyme de vide, car seule, je ne m'ennuie pas, tout au
contraire. Je pratique ce que les spécialistes nomment des « intérêts particuliers
». J'en ai besoin pour me ressourcer et pour me développer. Je pourrais devenir
une experte dans un domaine bien précis quand je serai grande si tu me guides
adéquatement.
Tu comprendras donc que si je suis gauche et plutôt
intellectuelle, ne me pousse pas à des sports d'équipe bousculants ou dans des
activités qui demandent adresse et motricité, si je suis aisément larguée dans
ce domaine. Tu m'amènerais à me sentir humiliée et traumatisée sous le coup
répété de mes difficultés récurrentes dans ces domaines et sous la pression
compétitive des autres. Laisse-moi jouer à mes jeux répétitifs, même quand tu
ne les comprends pas.
Tu ne me forceras pas à apprendre des codes sociaux normés et «
idéaux » pour qu'ensuite je réalise avec désarroi que les trois quarts de la
population autour de moi ne les utilisent même pas correctement. À eux, on ne
leur a pas enseigné, ils ont appris sur le tas et parfois bien de travers. Tu
m'expliqueras que les gens différents de moi sont émotifs et parfois
imprévisibles. Tu me donneras un mode d'emploi pour ne pas être brisée chaque
jour de ma vie, mais tu comprendras que je resterai toujours une personne
visiblement différente de la masse. Tu m'apprendras le plaisir de communiquer
et non l'obligation, sinon je me refermerai sous l'incompréhension et
l'anxiété. Ma bulle pourrait n'en devenir que plus épaisse.
En voulant changer mon comportement à tout prix, tu me priveras
d'une partie importante de ma nature profonde. Je serai déstabilisée. Tu peux
me guider, m'encadrer et veiller sur moi avec tout ton amour. Mais ne m'oblige
pas à devenir ce que tu considères comme normal. Tu me mettras en échec et tu
me donneras un perpétuel sentiment d'être malsaine et inadéquate. Je me
détesterai une partie de ma vie pour ça, car je ne serai jamais complètement à
l'image de tes attentes et de celles des autres. Je suis différente, mais j'ai
ma valeur propre. N'oublie jamais que je ne suis pas un être défectueux à
réformer et à réparer. Je suis juste dans une catégorie à part. Tu me traiteras
donc comme un être unique et tu me donneras des outils à ma mesure pour que mon
atypisme se métamorphose en force et non en tare immonde.
Tu comprendras que je ne suis pas un être maléfique et que mes
crises, aussi violentes soient-elles, sont l'expression de mes inconforts
constants et de mes peurs qui m'assaillent du fond de ma bulle autistique. Je
ne cherche pas à te manipuler ou à te blesser, mais je n'ai juste pas la
manière que tu souhaites de te transmettre mes émotions avec justesse et
finesse. Ce monde agité me terrifie.
Viens me chercher dans ma bulle au lieu de vouloir la faire
éclater en mille miettes pour que je sois exposée nue dans cet univers qui
m'insécurise tant. Écoute-moi, même dans mes silences. C'est en passant
directement par moi que tu as le plus de chances de communiquer adéquatement
avec moi, davantage qu'avec des méthodes toutes faites qui me forcent à
apprendre ton langage non-autiste au lieu de l'inverse. Si je suis
l'handicapée, comme on le répète ad nauseam, alors pourquoi est-ce uniquement à
moi de me taper l'entièreté de la route toute seule? Viens me rejoindre à
mi-chemin.
Tu as tes attentes et tes besoins. Moi aussi. Comme tout le monde,
j'ai mes limites, mais permets-moi de les repousser à la mesure de mes
capacités. Je sais que tu m'aimes, alors détends-toi. Laisse la pression
extérieure de côté autant que possible et viens vers moi. J'en vaux sans doute
la peine encore plus que tu ne l'imagines. Avec ton soutien, j'irai peut-être
plus loin encore que dans les prédictions néfastes accolées dans mon dossier
médical.
je suis maman d'une adorable fille diagnostiqué il y a 3 ans.il y a de nombreux défi a surmonter mais le plus dur n'est pas sa différence neurologique, c'est les attentes irréaliste des autres sur elle et nous.moi, j'aime ce voyage avec cette enfant si surprenante
RépondreEffacer