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Lors de
mes contacts avec plusieurs adultes Asperger, j’ai remarqué deux tendances
opposées : certains souffrent, d’autres pas. M’identifiant à la première
catégorie, je me suis interrogée à maintes reprises sur ce qui me dérangeait
vraiment dans ce que je vivais. Est-ce le fait d’être autiste? Non. Est-ce
d’avoir une pensée et une façon de voir les choses d’une manière souvent
différente? Non, j’aime bien, en fait. Est-ce d’être en général plus logique
qu’émotive? Non, j’aime bien Monsieur Spock, moi aussi. Donc, pourquoi est-ce
que moi, je me sens « malade » et que je serais prête à prendre « la
petite pilule miracle » si jamais elle était commercialisée un jour,
contrairement à bon nombre de mes semblables?
Tout
d’abord, le fait que je sois de sexe féminin est relativement embêtant au
niveau des relations sociales. Parce que l’on attend de la femme qu’elle soit
naturellement sociable, empathique, attentive, très verbale, émotive et
maternelle. Et c’est ce qu’on attend de moi à prime abord. Une femme se doit
d’être à l’aise et d’avoir une attitude adéquate en société. Si un homme y
arrive plus ou moins, qu’il ait un trouble envahissant du développement ou non,
on l’accepte toujours plus aisément. On dira de lui : « Il est comme
ça, notre Jean-Charles, on l’aime pareil… » Mais Marie, elle, qui semble
avoir toutes ses facultés, qui parle bien, qui lit beaucoup, qui est censée…
pourquoi devient-elle si taciturne et fermée par moments, alors qu’à d’autres,
elle se comporte de manière tout à fait convenable avec les autres?
C’est
lorsque j’ai découvert l’auteure Rudy Simone que j’ai compris mon malaise
principal en société : le mutisme
sélectif. Bon… qu’est-ce que ça mange en hiver, en été ou encore au
printemps? En fait, ça mange tout le temps, ça se régale de mon énergie et ça
dévore à pleines dents ma concentration, lorsqu’il y a trop de monde et
d’agitation autour de moi. Rudy Simone spécifie que :
« Le
mutisme sélectif est la conséquence d’une forte anxiété sociale, une
manifestation verbale de notre réaction à tout contact social, semblable à
celle du cerf pris dans la lumière des phares. Là où les neurotypiques se
sentent en sécurité entourés par un grand nombre d’individus, nous (Asperger)
nous sentons menacés[1]. »
J’ai pensé
longtemps avoir été frappée par une maladie dégénérative du cerveau. Avant de
lire sur le syndrome d’Asperger (SA), je ne comprenais pas comment je pouvais
bien fonctionner durant une courte période de temps avec une ou deux personnes,
puis devenir une complète nunuche avec un plus grand groupe ou au bout d’une
plus longue période de temps. Et ce, au point de me rendre parfois ridicule.
D’abord, au bout d’un certain temps, je ne parle plus, mon hamster mental est
définitivement mort, évanoui à côté de sa roulette. En groupe, au bout de 20-30
minutes en moyenne, mon cerveau se bloque. Plus le groupe est nombreux, plus le
nombre de minutes saines disponibles se raréfie. C’est inversement
proportionnel : plus de gens, moins de temps de concentration. Le sablier
s’accélère. Je n’ai plus accès à mes souvenirs, à mes anecdotes croustillantes
ou à toute lecture ou connaissance théorique, peu importe le sujet.
Vous allez
voir devant vous une fille au regard vide, avec soudain peu d’expressions
faciales à son répertoire, à part un léger sourire ennuyé et quelques signes de
tête approbateurs machinaux. Peu importe ce dont vous lui parlez, même si vous
lui racontez en détails la mort pénible de votre arrière-grand-oncle. Vous
attendez des questions de suivi, des signes empathiques de ma désolation, mais
ils ne viendront probablement pas. Je ne suis pourtant pas sans cœur. En dedans
de moi, je vous comprends. C’est juste que les marchandises se trouvant à
l’intérieur du magasin ne sont pas en exposition dans la vitrine.
Je vais
vite me sentir surchargée par tous ces stimuli qui m’agressent sans que je
puisse les ignorer. Par exemple, lors d’une rencontre sociale : s’il y a
trois personnes à ma gauche qui parlent de leur dernier voyage à Punta Cana, je
comprends toute leur conversation, puis à ma droite, je capte simultanément la
totalité de la conversation d’un autre petit groupe qui discute des premiers
pas du petit dernier. Puis aussi tout le reste : le murmure général des
autres conversations plus lointaines et plus basses, la musique, un objet qu’on
échappe en lançant une exclamation de surprise, des pas qui approchent, des
éclats de rire soudains et des voix qui accentuent quelques mots. Dans ce
brouhaha général, j’échappe le fil de conversation avec la personne devant moi.
Je ne l’entends pas plus fort que les autres bruits et elle s’y dissout. En
fait, je dois mettre une énergie titanesque pour continuer de suivre sa
conversation. Et cette énergie me rend anxieuse et physiquement épuisée au
point de frôler l’effondrement.
Immanquablement,
avec tous ces bruits, toute cette agitation des gens qui passent devant moi,
avec les enfants qui jouent bruyamment, je vais sentir se matérialiser un
vertige. Je manque d’air, mon ventre se crispe et j’ai une envie criante de
hurler et de me volatiliser. Je finis même par avoir des tremblements et des
claquements de dents. Mais je reste là, je fige, avec un sourire idiot sur le
visage, et ce sourire s’estompe de plus en plus, en peu de temps. Mais du
dehors, c’est juste une fille peut être gênée, peut-être snob, qui ne réagit
plus et qui vous ennuie. Moi, j’ai envie de m’effondrer, parce que dans tout ce
chahut, je vois pourtant votre incompréhension face à mon absence de réaction.
Et j’en souffre énormément. Je suis tout à fait consciente.
Avec le
cumulatif de tous ces stimuli, je deviens vite en surcharge. Je me sens m’enfoncer
dans un brouillard qui s’épaissit. Le phénomène commence à être documenté en
anglais : le glass wall phenomenon. À chaque
addition de stimuli et de nombre d’individus, je m’enfonce un peu plus. Les
bruits sont de moins en moins distincts et je suis K.O. J’ai beau lutter, je ne
parviens pas à faire semblant, à converser malgré tout. Il n’y a plus rien,
rien qu’un genre de néant intellectuel ponctué de malaises physiques intenses,
puis une sensation de détachement, d’un nuage de brume qui s’épaissit.
Je vous
parle bien évidemment de moi et de ce que vivent la plupart des autistes Asperger.
On ne sait pas vraiment ce qui se passe dans la tête des autistes non-verbaux,
de ceux qui sont peu communicatifs. J’ai cependant lu sur un forum une maman d’enfant
autiste, elle-même autiste, qui racontait qu’elle se rappelait qu’enfant, il
n’y avait qu’un grand brouillard épais où elle voyait apparaître un visage ou
une main parfois et du sentiment de peur qu’elle ressentait. Quand je lis cela,
quand je compare à ce que je vis, j’ai le sentiment que plus une personne est
loin dans le spectre autistique, plus son brouillard est dense et l’isole du
monde extérieur. Bien malgré elle.
Maintenant,
avec un entraînement constant, je vois venir ce brouillard de loin et si je
lutte très fort, je finis par en ressortir plus rapidement, mais après un
moment de repos seule avec moi-même. La méditation m’aide beaucoup à me
recentrer plus rapidement et à prendre conscience de ce que je ressens au
moment où la crise de mutisme se dessine. Mais c’est encore un gros combat
quotidien. Et je fais tout pour le gagner.
[1] Rudy Simone, L’Asperger
au féminin : comment favoriser l’autonomie des femmes atteintes du
syndrome d’Asperger, Bruxelles, De Boeck, 2013.
C'est moi tout craché! Pour ma part, ce n'est pas tant le brouillard que je perçois...je m'éloigne en conscience...j'ai l'impression d'entrer dans un état où je n'entends plus rien peu à peu...un peu comme avant la syncope, j'entends mais ne capte plus, je vois, mais je n'imprime plus. J'ai l'impression que je m'évade du lieu qui me fatigue et que je flotte au dessus de la scène. C'est comme si j'étais sous influence d'une substance. J'étouffe, et je me concentre à faire de mon mieux pour ne pas le montrer. Je me fatigue dans cet effort...et je n'ai qu'une envie, fuir au plus vite. Il m'est arrivé d'avoir une peur panique face à des comportements que je jugeais inappropriés, où une personne du type normaux pensant aurait mis un terme très rapidement par le verbe. Moi je restais paralysée d'effroi, incapable de réagir. Ce qui est contradictoire chez moi, c'est qu'autant je suis apte à réagir face à une menace violente et physique, autant je me sens impuissante face aux non- dits, aux insinuations, à la violence morale. Je uis très démunie et confuse face à de telles attitudes
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