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Depuis 2012, le 19 juillet est pour moi un anniversaire éminemment
crucial : celui de mon diagnostic d’autisme. Oui, je me souviens de cette
sensation étrange, en ce matin ensoleillé du 19 juillet 2012, ce sentiment de
partir dans une quête aventureuse, à la recherche d’une ultime vérité qui me
tenaillait depuis janvier 2009, concernant l’autisme, mais en plus depuis mes
15 ans en années humaines à me chercher sans me trouver réellement. J’allais enfin
cueillir la réponse à cette question datant du début des temps : « qui
suis-je? »
J’avais demandé à quelques connaissances de m’accompagner
pour ce rendez-vous fatidique, mais aucun individu n’était disponible,
plusieurs pour des raisons valables et même, un membre de ma famille proche m’a
affirmé pour se débarrasser « je n’aime pas conduire dans Montréal »,
alors que je sais très bien qu’elle le fait régulièrement pour visiter ses
enfants… Et puis mon conjoint venait tout juste de changer d’emploi et je ne
souhaitais pas qu’il demande un congé spécial après 2 semaines seulement. J’ai
donc fait le choix d’y aller « comme une grande », en solitaire, car
dans le fond, c’était ma démarche à moi. Je l’ai donc fait seule jusqu’au bout.
Je ne pouvais plus reculer, j’avançais ainsi à pas feutrés vers mon destin.
J’ai pris l’autobus à partir du terminus de Sorel-Tracy,
vers Longueuil, puis le métro et ensuite j’ai marché vers la clinique d’Isabelle
Hénault. Je savais mon trajet par cœur, toutes les étapes, car toute séquence
est pour moi essentielle pour ne pas perdre pied. J’étais en avance, comme à
mon habitude, et j’ai arpenté les rues avoisinantes, fébrile et anxieuse, en
scrutant ma montre toutes les 30 secondes. Puis, 10 minutes avant l’heure
attendue du rendez-vous, j’ai fait l’ascension des marches et pris place dans
la salle d’attente au doux éclairage tamisé. J’étais tremblotante et les mains
moites. Je me suis demandé durant un bref instant si la fuite n’était pas une
possibilité envisageable. Mais je devais savoir. J’attendais ce moment depuis
tellement longtemps.
L’entretien fut superbement agréable, détendu et à la fin
elle m’a confirmé que je recevrais mon rapport écrit sous peu. Je lui ai
demandé si elle pouvait me donner une réponse tout de suite (elle avait déjà
corrigé plusieurs tests que j’avais faits au préalable à l’entretien) et elle m’a
confirmé de sa voix douce que, oui, je suis autiste. Je sais que j’ai souri et
elle aussi. Je sais que j’ai également eu des larmes aux yeux, émue, comme
lorsqu’on atteint finalement le fil d’arrivée après un long marathon.
Le chemin du retour m’a donné largement le temps de
réfléchir sur cette confirmation salvatrice. Enfin une réponse claire après une
recherche si ardue pour comprendre qui est cette Marie-Josée, si différente et
tellement hors du moule. Mais là, je savais de source sûre. Je n’étais donc ni
dingue, mythomane ou simplement hypocondriaque. J’avais une identité réelle et
distincte que j’avais découverte par moi-même au fil de nombreuses lectures et
introspections. Ce qui me marque, ce sont ces nombreuses heures dans les transports
en commun, mon voisin de banc dans l’autobus qui prenait trop d’espace, me
contraignant à me blottir sur le hublot et à tourner la tête vers le paysage
défilant pour éviter ses effluves d’odeur corporelle qui m’envahissaient
fortement. Et énormément de pensées, de souvenirs, de moments manqués qui me
bombardaient en vrac. J’étais à la fois triste et soulagée. Je suis ensuite
rentrée directement à la maison et j’ai continué ma réflexion. Je n’ai appelé
personne sur le coup. Je digérais calmement cette affirmation et je conservais
mon petit secret encore un peu, juste pour moi.
La route n’était pourtant pas terminée et ne le sera jamais...
Je la chemine aujourd’hui encore. Elle a ses hauts et ses bas, au détour de
rencontres variées, de moments joyeux ou de conflits cruels sur des
interprétations différentes des faits et des mots. Cette route n’est jamais
droite, nivelée, lisse et simple. C’est une route alternative, une voie de
service en parallèle au réseau routier standard, mais qui quelques fois prend
des détours inattendus et entre dans de denses forêts de tristesse et de
découragement. C’est un sentier parsemé de pièges à ours et de trous de
marmotte où je me renverse fréquemment les chevilles. Mais c’est ma route à moi
et je dois la suivre, malgré les obstacles, à la recherche du mieux-être et du
respect de qui je suis. J’ai appris beaucoup et j’apprends encore à chaque
instant. Ma tête ne s’arrête jamais, comme ces grosses usines dont les machines
marchent 24 heures sur 24 et que les travailleurs se relaient dans les
différents quarts de travail. Par contre, je suis la seule à assurer le
fonctionnement de la machine en continu.
À l’image de cette journée du 19 juillet 2012, je suis seule
aujourd’hui. Seule avec mes pensées, mes impressions belles ou hideuses. Seule
à revisiter mentalement cette longue vie à ne pas me connaître, à perdre des
relations amicales, des emplois, à faire face au jugement sur mon comportement
qui ne me semblait pourtant pas à moi inadéquat dans la plupart des occasions.
Mais qu’est-ce que je savais de ce qui est acceptable ou non? Rien du tout.
Après la confirmation de mon diagnostic, je ne me suis pas
pour autant écrasée. J’ai eu mes moments de révolte contre la société, cette
société qui me pousse à entrer ma forme carrée dans une ouverture ronde. J’ai blâmé
l’humanité, les conformistes, les gens à l’esprit étroit qui me toisaient avec
mépris sans raison visiblement explicable. Puis je suis partie à la conquête de
mon vrai moi : être autiste, mais le plus en harmonie avec mon entourage,
avec les gens. Prendre ma place, bien que je sois repoussée et critiquée quand
je ne suis pas « conforme » pour la majorité. C’est une lutte que je
continue chaque jour de mon existence.
Le boulot, les contacts avec mes semblables, rien n’est jamais un tracé droit
et prévisible. Il y a du bon et du mauvais à chaque détour. Mais maintenant, je
le sais. Je suis réaliste et j’accepte.
Bon anniversaire de diagnostic Marie-Josée!
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