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C’est bien aujourd’hui, en ce dimanche grisâtre et tristounet, que se font les solidaires balancements de mouchoirs à bout de bras, les bises d’appréciation à tout vent et que l’on entonne le traditionnel Ce n’est qu’un au revoir (Auld Lang Syne), sur un ton nostalgique. Nous voilà déjà rendus à la fin de ce long parcours qui a duré toute une année : cinquante-deux semaines de calendrier bien comptabilisées. Un ou deux dimanches avec un certain retard, tout au plus. « Précise et fidèle, j’ai été », dirait maître Yoda dans sa très sainte sagesse de Jedi. Précise et fidèle malgré d’abondants dimanches matins ensommeillés où tout me paraissait plus aguichant que mon contraignant écran d’ordinateur. Il me narguait avec ses brouillons, ses embryons de textes à compléter ou à relire, et qu’il me semblait mission impossible de compléter dans des délais si serrés.
Rester couchée toute la journée sur un tapis de clous de finition; fuir
en Sibérie pieds nus; monter à genoux, en culottes courtes, les rugueuses
marches de ciment usé de l’oratoire Saint-Joseph; tout me semblait plus
affriolant et facile. Mais aujourd’hui, la ligne d’arrivée du marathon est là,
bien voyante devant moi. C’est la fin d’une longue traversée en haute mer démarrée
en solitaire, sans âme qui vive à l’horizon. Mais ce matin, je retrouve
finalement la terre ferme sous mes pas. Il faut passer à autre chose :
découvrir l’autre rive, des îles désertes à apprivoiser et des continents
inexplorés auxquels se familiariser. C’est le début d’un temps nouveau.
Lorsque j’ai débuté mon aventure avec ce blogue, la première semaine de
mai dernier, je marchais à tâtons dans un dense brouillard. Je ne connaissais à
ce moment-là pratiquement personne dans le milieu de l’autisme. La seule chose
dont j’étais certaine, c’était que je voulais me lancer cet défi extrême, même
si on m’avait avisée que ce serait une projet énergivore et un pari difficile à
tenir. Avec le Défi 52 semaines,
j’ai voulu faire une action-choc qui frapperait l’imaginaire et attirerait
l’attention générale sur l’autisme. À mes débuts, les réactions étaient
timides, les lecteurs rares. Puis, ils sont apparus, un à un, comme des étoiles
inconnues que l’on découvrirait les unes après les autres avec un puissant
télescope : parents d’enfants et d’adolescents sur le spectre autistique;
adultes de tous âges; intervenants professionnels; conjoints ou proches; femmes
en quête d’un diagnostic ou détentrices d’un diagnostic tout récent. Tant de
gens magnifiques et variés.
J’ai créé ce blogue, non pour attirer narcissiquement l’attention sur
moi, mais pour aller vers l’autisme et vers les autres, moi qui avais vécu
totalement repliée sur moi-même pendant plus de quatre décennies. Je comprenais
des fonctionnements particuliers, souvent non-expliqués dans la littérature
scientifique, que j’avais analysés à la lumière de ma propre vie. Je souhaitais
en faire un partage altruiste, mais surtout sensibiliser. J’ai eu le bonheur de
voir tant de choses évoluer positivement de manière exponentielle au cours de
cette fantastique année. Ma vision plutôt étroite au début s’est peu à peu
élargie au contact de tous. J’ai levé le voile sur tant de mystères personnels,
je me suis découverte encore davantage, je me suis auscultée en profondeur à
chaque instant, j’ai cherché puis trouvé des réponses à des questionnements qui
me tenaillaient de l’intérieur depuis les premiers instants lucides de ma vie.
Ce blogue s’est avéré être une saine thérapie.
Mais mon travail n’est pas terminé pour autant. Il reste encore tant à
faire! Les projets essentiels à concrétiser ne manquent pas. Sensibiliser la
population à l’autisme est un élément vital que l’on ne peut négliger. Car si
j’ai le sentiment d’avoir contribué à faire connaître tant de choses aux
personnes déjà touchées par l’autisme, le reste de la population demeure trop souvent
hors d’atteinte, comme sur un autre continent traversé par un long fleuve de
préjugés, d’ignorance et souvent même de mépris. La méconnaissance de l’autisme
touche encore tellement de gens extérieurs à la situation. J’en suis très
gravement consciente et je vais hardiment continuer à y travailler sans
relâchement musculaire.
Et on fait
quoi après?
La prochaine étape consistera maintenant à me porter davantage vers les
gens, à mettre mes mains fermes et décidées dans la terre ou directement dans
la pâte à tarte, à être présente sur le terrain. Je caresse de grands projets. Comme
de créer des cafés-rencontres réguliers entre adultes sur le spectre autistique
et leurs proches, de travailler activement à cette organisation en
collaboration étroite avec d’autres adultes comme moi. Pour les avoir
expérimentées à plusieurs reprises, je sais pertinemment que les rencontres
entre nous sont un moyen exceptionnel de réaliser que nous ne sommes pas seuls
dans notre différence sociale. Nous avons tous des similitudes au plan de notre
fonctionnement social et celles-ci se rejoignent et s’emboîtent avec souplesse.
De telles rencontres permettraient ainsi à Jean-Luc de réaliser que Chantale
déteste comme lui les bruyantes pauses-cafés au boulot et les fêtes où l’agitation
cacophonique est à peine supportable. Ou qu’elle est comme lui déstabilisée par
les émotions variées et étranges de son entourage, car elle non plus ne comprend
pas toujours le langage mystérieux des autres. Ces rendez-vous briseraient
l’isolement de Christelle, Annabelle, Julien et Kevin, ces ralliements
informels apporteraient beaucoup de paix, de réconfort et d’inspiration.
Aussi, je rêve de mettre sur pied une formule de parrainage, semblable à
celles de l’association Grand Frères Grandes Soeurs, afin que des adultes autistes autonomes puissent apporter du soutien et
du coaching adapté à des plus jeunes qui débutent leur vie d’adulte sans modèle
et sans un soutien psychologique conformes à leurs besoins propres et
individuels. J’ai des livres en préparation, et je m’attarderai plus
régulièrement à leur rédaction dans l’avenir, au travers de mon horaire de
travail chronophage.
Faire une
place à l’autiste dans le monde
Il ne faut plus jamais que l’autisme soit uniquement réduit à cette
étiquette maudite de maladie grave, de handicap honteux ou d’épidémie frappant des
individus malsains. Bien évidemment, certaines personnes sur le spectre de
l’autisme n’auront jamais un niveau d’autonomie suffisant à l’âge adulte pour
subvenir seuls à leurs besoins personnels et prendre leur place dans la société
sans aide adaptée. Il faut aussi être là pour eux, ouvrir des consciences et
participer à créer des services. Les adultes autistes autonomes ont cette
capacité d’être les yeux et les oreilles pour traduire les besoins et les
difficultés des autistes d’autres niveaux et de servir d’interprète pour éduquer
et apporter des soins de santé appropriés. Il est essentiel de trouver des voix
et des voies pour se faire entendre plus fort, s’impliquer dans les recherches
et trouver des manières adéquates d’intervenir auprès des autistes de tous âges
et de toute condition.
Il faut en arriver à positiver notre décalage social, ce à quoi je
m’applique de plus en plus dans mon acceptation personnelle du syndrome d’Asperger
dans ma vie quotidienne. Nous devons considérer notre état, non plus comme une
tare maléfique à combattre à grands coups d’épée magique ou de rouleaux à pâte
en bois dur, mais comme une manière d’être alternative, une occasion d’être soi,
différente et parfois même originale. Dans la société, il est d’une importance
capitale d’apporter des idées nouvelles, des manières d’être et de penser qui
sortent de la norme plate et uniforme. Chacun, autiste ou non, a le devoir de
rendre la vie sur terre meilleure après son passage.
Nous pouvons apporter une vision du monde différente, une nouvelle
manière de penser, claire, directe, centrée. Dans la majorité des livres et des
films, ce sont les individus divergents et hors norme qui changent les choses,
quand ils parviennent à se faire entendre. Dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, Bernard a été incubé pour
être un membre respecté de la caste supérieure, mais une anomalie lors de sa
conception l’a modelé physiquement plus petit que ceux de son rang, attirant les
railleries, le manque de respect et le rejet par ses semblables. Cette
différence involontaire de sa part l’a amené à rejeter son monde, en apparence
parfait, et auquel il ne correspondait pas, pour aller chercher plus d’humanité
à l’extérieur des normes de sa société. Il en a ainsi repoussé les limites et a
fait évoluer les mentalités modelées uniformément. Ne devons-nous pas nous
aussi apporter nos forces, nos valeurs et notre manière de voir la vie afin de
participer à rendre la société meilleure selon nos capacités uniques?
Nous devons nous demander ce que nous voulons faire maintenant pour qu’apparaissent
des éclaircies persistantes au travers des nuages saupoudrés d’un soleil
radieux. C’est aujourd’hui ou jamais. Singulièrement, au moment où j’écris
cette ligne finale, par la fenêtre un rayon de soleil furtif s’est frayé une
fissure parmi la couverture nuageuse. Un bref instant. Est-ce un signe? Oui,
c’est bel et bien le début d’un temps nouveau!
C'est émouvant, j'espère avoir l'occasion de te lire à nouveau dans le futur. J'ai toujours beaucoup aimé ton blogue et je te remercie de l'avoir enrichi semaine après semaine de tant de textes intéressants.
RépondreEffacerBon courage à toi, bonne continuation dans tout ce que tu entreprendras !
Merci pour votre généreuse et importante contribution ça m'a réellement aidé à mieux comprendre le comportement et les besoins d'un jeune autisme asperger parmi mes proches, après vous avoir lu régulièrement je me sens mieux outillé pour accepter et aider. Ce que vous avez décrit et expliqué colle presque à 100% avec ce que j'ai pu observer de la personne qui m'est proche et c'est la même chose avec le témoignage que j'ai pu obtenir d'un autre asperger qui donnait une conférence dernièrement, tout concordait, tout allait dans la même direction.
RépondreEffacerC'est un gros PLUS déjà de savoir ça, de pouvoir en quelque sorte valider le diagnostique à partir de référence bien concrètes comme vous. Il nous reste maintenant à agir pour simplifier au maximum la vie à notre asperger, il y a bien un peu de support autour mais plutôt rare, vous avez raison c'est une affaire de savoir comment un asperger pense et se comporte, ses limitations et ses grandes capacités, c'est toute une autre affaire pour lui et ceux qui le supportent à faire son chemin dans la vie, le plus grand obstacle étant la méconnaissance presque généralisée de l'autisme, pire les préjugés qui y sont accolés.
De mon point de vue et pour les plus jeunes, il m'apparait que le plus grand point faible est le fait que les enseignants ne soient pas informés adéquatement sur l'autisme, ne sachent pas comment composer avec un asperger et je peux imaginer aussi qu'il y a un manque semblable au niveau des directions d'écoles.
Ce qui m'horripile c'est de réaliser que tout va trop lentement, ça prend une éternité aux parents pour obtenir un diagnostique qui soit bon et fiable, ensuite il faut ensuite faire face à un vrai labyrinthe pour obtenir du support et le temps passe et l'enfant grandit...
et c'est sans compter un aspect que vous n'avez pas traité : la médicamentation qui peut aider mais ça n'est pas clair et encore là le support qui devrait être très pointu et le suivi très fréquent est manquant.
Je reste tout de même sur une note positive, avec ces 52 semaines avec vous nous sommes en meilleur position pour faire face à la situation. Merci. Claf
Fin de cette aventure et début d'autres chemins! Merci à toi pour ton effort, merci d'être, comme tu le dis joliment, l'interprète des autres, des gens "doués d'autisme", pour reprendre les mots de JM Devezeaud, un autre asperger. Merci!
RépondreEffacerMarie Josée, je suis une grande fan :-) Te decouvrir, te lire, a été un plaisir attendu fort agréable. Oui, tu as changé ma done: tu m'as donné acces a un intérieur austistique, un parmis tant d'autres, certes, mais un accessible. De théorie, j'ai aujourd'hui une peu de vécu ;-)) Tu es une grande Dame. Merci! Grand grand MERCI! :-)
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