Eh bien voilà, me voici parvenue,
un peu haletante, à la 26e semaine. Déjà à mi-parcours de mon énergivore
projet personnel de sensibilisation à l’autisme et au syndrome d’Asperger en
52 semaines, 52 textes, 52 fragments de vie et d’idées. Surprise
d’être demeurée motivée jusque là, malgré d’occasionnels sprints dominicaux de
dernière minute m’appelant des jurons impolis et impossibles à allonger décemment
sur l’écran. Stupéfaite que mon ordinosaure de pc tienne encore le cap, bien
que la touche « e » du clavier voit sa blanche inscription
complètement dissoute sous les martèlements répétés de la très convoitée lettre.
Étonnée d’avoir toujours des mots nouveaux à aligner et des notions à partager,
même si le brouillon premier de chaque texte m’amène hebdomadairement le doute
et le découragement le plus entier. Hébétée également de faire le désolant
constat que je n’ai cependant pas encore dévoilé la moitié de ce que je
souhaitais transmettre au départ. Dans mon cartable blanc intitulé Blogue, il existe une liste de sujets
préparés avant les premiers balbutiements de cette rédaction, certains d’entre
eux étant repoussés sporadiquement, à la suite de nouvelles idées qui se
bousculent, de besoins essentiels d’expressions émotives à assouvir, de
demandes spéciales de lecteurs. Le profil féminin, l’adolescence, les crises de
colère et d’agressivité, la vie au travail sont autant de bulles à faire
éclater qui gravitent continuellement en suspension autour de mon aura. Et si
je n’y arrivais pas? Si à la fin de mes 52 semaines, je n’avais pas brossé le
tableau complet que je souhaitais tant faire au moment d’initier la première
ligne en mai dernier?
Depuis les 6 derniers mois,
certaines choses ont changé, d’autres pas. Ma vision de ma vie d’asperger s’est
beaucoup éclaircie et précisée. Mon estime de moi a grandi si bien qu’elle
ressemble de plus en plus à l’incroyable Hulk dans ses pantalons trop serrés.
Ma vie semble devenir trop étroite pour contenir tout ce que j’ai besoin de
réaliser et d’exprimer. Depuis les derniers mois, j’ai cessé de me percevoir
comme une personne porteuse d’une maladie ou d’une tare honteuse comparable à une
syphilis ou à un ver solitaire. Actuellement, je vais de l’avant en réalisant
que je suis un individu à part entière, solide et fière, et que le syndrome
d’asperger n’est pas une fin en soi, que ce n’est qu’une caractéristique
personnelle comme tant d’autres, comme d’avoir le nez fin ou de longs doigts. Finalement,
j’ai commencé à l’aimer d’amour cette différence. J’apprivoise de plus en plus
la petite bête curieuse que je suis et je prends le temps d’écouter ma voix
intérieure, qui finalement n’est pas plus idiote que celle de qui que ce soit
d’autre autour de moi. Je ne pousse plus à fond sur l’insurmontable et je
prends le temps de chercher des solutions applicables à chaque manifestation
d’une « lacune » afin de positiver le plus possible cette différence
qui m’est malicieusement imposée.
Plus largement, j’observe avec des
regrets colossaux que les primordiaux besoins de la population autiste et
asperger s’amplifient, mais que les ressources disponibles et le nombre de
spécialistes avertis stagne toujours. Au fil de nombreux contacts sur les
réseaux sociaux ou en rencontres de groupes, je constate les luttes journalières
des parents et des autistes et aspergers adultes. Une des luttes est la demande
de services qui ne suffit largement pas. Personnellement, je suis entrée sur
une nouvelle liste d’attente pour recevoir des services adaptés au CRDI[i]. J’étais
déjà au préalable sur une liste d’attente depuis 6 mois pour compléter la
demande de service. Non, je ne délire pas. Une liste d’attente de 6 mois pour
remplir un formulaire de demande de services. La nouvelle attente nécessaire
selon leur accusé de réception : 360 jours. À 47 ans, je ne suis pas une
priorité. À ce rythme-là (j’imagine qu’il y aura des délais imprévus), ils
pourront venir me rendre visite en maison de retraite. Une connaissance m’a
bien expliqué que ce chiffre est uniquement politique : ils ont
l’obligation de prodiguer le service en dedans d’un an. En bout de ligne, je ne
suis pas du tout convaincue qu’ils pourront m’apporter les quelques morceaux
encore manquants à ma gestion de la vie en société. Je continue d’investiguer par
moi-même, suivant instinct et conseils épars, mais aussi avec des individus
merveilleux qui m’offrent une aide ponctuelle en répondant à mes trop
pointilleuses interrogations. De toute manière, j’ai déjà parcouru les premiers
90 % du chemin pratiquement toute seule.
Une autre des luttes importantes
est l’incompréhension extérieure. Pour les gens immergés dans le milieu de
l’autisme (intervenants directs, parents, autistes, famille élargie), le
sujet est de mieux en mieux maitrisé. Mais pour tous les autres non concernés,
ce ne sont que les préjugés et l’ignorance qui persistent. Je trouve que la
sensibilisation et la communication est très forte à l’intérieur des groupes
sociaux, entre parents, entre adultes TED. Mais je note que la sensibilisation
ne se fait pas vraiment en dehors du réseau, au niveau du grand public, des
médias. C’est une partie qui demeure largement à travailler.
Je croise beaucoup d’adultes
motivés à faire progresser les choses. De plus en plus, ils se regroupent à mon
grand ravissement : Aut’Créatifs[ii]
au Québec, Magali Pignard et d’autres résistants face à la psychanalyse en France
et militants pour la scolarisation des enfants autistes, les différentes
branches des mouvements appuyant la neurodiversité à travers le monde, des
auteurs autistes publiés ou qui planchent actuellement sur des œuvres salvatrices
à venir. Et si finalement les autistes finissaient, eux à qui on a longtemps
reproché d’être recroquevillés égoïstement sur eux-mêmes et de manquer au plus
haut point d’empathie, par donner une authentique leçon de solidarité humaine?
Tous mus par un même sentiment d’urgence, mais aussi un juste pressentiment d’être
parmi les personnes stratégiquement les mieux positionnées pour améliorer toutes
ces situations laborieuses. Ils sont parmi les personnes-clés que les
spécialistes rejettent ou refusent d’écouter. Pourtant, ce sont bien les
adultes autistes qui ont en leur possession les explications manquantes, les
codes secrets d’initiés pour ouvrir les voutes et qui peuvent cocher les cases
blanches appropriées.
Ce que je réalise aujourd’hui,
c’est que nous devons apprendre à vivre dignement avec l’autisme et non à chercher à l’effacer comme une tache
graisseuse. De toute manière, nous n’y parviendront sans doute jamais. En
attendant, les autistes demeurent eux-mêmes avec un problème de taille à gérer
au quotidien. Ils sont encastrés bien malgré eux dans une exigeante société où
sortir de la masse est soit un signe de génie, soit un signe de maladie. La
dernière hypothèse étant prioritairement retenu sans réflexion approfondie.
Tout ce qui sort de la norme est systématiquement étiqueté de danger à bannir. On
veut encore nous guérir, alors que ce qu’il faut c’est s’arrêter, comprendre et
soutenir. Et trouver d’autres avenues de formation et d’aide, non pas en adaptant
les modèles en vigueur pour les individus typiques, mais en repartant de zéro à
la base, en tenant compte des besoins réels des autistes qui diffèrent de ceux
de la masse.
Actuellement l’exigence de la
société est à la conformité et à la standardisation sur un unique modèle: forcer
les personnes du spectre autistique à devenir des individus typiques au lieu de
se mettre à leur niveau (qui n’est pas plus bas, qui est juste légèrement vers
la gauche sur la même ligne!). Et c’est encore et toujours à l’individu autiste
à faire l’ultime poussée d’adrénaline, même en demeurant perçu comme celui qui
est « déficient ». Tout comme le disait si bien Amanda Baggs[iii] :
« Je trouve très intéressant qu’on perçoive le fait de ne pas parvenir à
apprendre votre langage comme un déficit, mais qu’il vous semble naturel de ne
pas réussir à apprendre le mien… ». Une rencontre à mi-chemin ne
serait-elle pas la plus juste et acceptable des alternatives?
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J’en profite pour vous remercier,
chers lecteurs, pour votre soutien indéfectible dans ce premier semestre de
sensibilisation hebdomadaire. Sans vos encouragements, vos commentaires sur le
blogue ou vos communications à mon intention sur Facebook, je n’aurais pas
trouvé la force de me rendre à ce bilan de mi-parcours. Merci à vous de votre
grande générosité.
[i]
CRDI : au Québec : Centre de réadaptation en déficience
intellectuelle. Ils ont également le mandat de s’occuper des « TSA ».
[ii]
Regroupement pour et par des autistes adultes autonomes : http://autcreatifs.com/
[iii] Amanda
Baggs est une activiste américaine militant pour les droits des autistes.
* Toute reproduction totale ou partielle est interdite sans l'accord de l'auteure.
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