dimanche 27 octobre 2013

Semaine 26 – Bilan de mi-parcours



Eh bien voilà, me voici parvenue, un peu haletante, à la 26e semaine. Déjà à mi-parcours de mon énergivore projet personnel de sensibilisation à l’autisme et au syndrome d’Asperger en 52 semaines, 52 textes, 52 fragments de vie et d’idées. Surprise d’être demeurée motivée jusque là, malgré d’occasionnels sprints dominicaux de dernière minute m’appelant des jurons impolis et impossibles à allonger décemment sur l’écran. Stupéfaite que mon ordinosaure de pc tienne encore le cap, bien que la touche « e » du clavier voit sa blanche inscription complètement dissoute sous les martèlements répétés de la très convoitée lettre. Étonnée d’avoir toujours des mots nouveaux à aligner et des notions à partager, même si le brouillon premier de chaque texte m’amène hebdomadairement le doute et le découragement le plus entier. Hébétée également de faire le désolant constat que je n’ai cependant pas encore dévoilé la moitié de ce que je souhaitais transmettre au départ. Dans mon cartable blanc intitulé Blogue, il existe une liste de sujets préparés avant les premiers balbutiements de cette rédaction, certains d’entre eux étant repoussés sporadiquement, à la suite de nouvelles idées qui se bousculent, de besoins essentiels d’expressions émotives à assouvir, de demandes spéciales de lecteurs. Le profil féminin, l’adolescence, les crises de colère et d’agressivité, la vie au travail sont autant de bulles à faire éclater qui gravitent continuellement en suspension autour de mon aura. Et si je n’y arrivais pas? Si à la fin de mes 52 semaines, je n’avais pas brossé le tableau complet que je souhaitais tant faire au moment d’initier la première ligne en mai dernier?

Depuis les 6 derniers mois, certaines choses ont changé, d’autres pas. Ma vision de ma vie d’asperger s’est beaucoup éclaircie et précisée. Mon estime de moi a grandi si bien qu’elle ressemble de plus en plus à l’incroyable Hulk dans ses pantalons trop serrés. Ma vie semble devenir trop étroite pour contenir tout ce que j’ai besoin de réaliser et d’exprimer. Depuis les derniers mois, j’ai cessé de me percevoir comme une personne porteuse d’une maladie ou d’une tare honteuse comparable à une syphilis ou à un ver solitaire. Actuellement, je vais de l’avant en réalisant que je suis un individu à part entière, solide et fière, et que le syndrome d’asperger n’est pas une fin en soi, que ce n’est qu’une caractéristique personnelle comme tant d’autres, comme d’avoir le nez fin ou de longs doigts. Finalement, j’ai commencé à l’aimer d’amour cette différence. J’apprivoise de plus en plus la petite bête curieuse que je suis et je prends le temps d’écouter ma voix intérieure, qui finalement n’est pas plus idiote que celle de qui que ce soit d’autre autour de moi. Je ne pousse plus à fond sur l’insurmontable et je prends le temps de chercher des solutions applicables à chaque manifestation d’une « lacune » afin de positiver le plus possible cette différence qui m’est malicieusement imposée.

Plus largement, j’observe avec des regrets colossaux que les primordiaux besoins de la population autiste et asperger s’amplifient, mais que les ressources disponibles et le nombre de spécialistes avertis stagne toujours. Au fil de nombreux contacts sur les réseaux sociaux ou en rencontres de groupes, je constate les luttes journalières des parents et des autistes et aspergers adultes. Une des luttes est la demande de services qui ne suffit largement pas. Personnellement, je suis entrée sur une nouvelle liste d’attente pour recevoir des services adaptés au CRDI[i]. J’étais déjà au préalable sur une liste d’attente depuis 6 mois pour compléter la demande de service. Non, je ne délire pas. Une liste d’attente de 6 mois pour remplir un formulaire de demande de services. La nouvelle attente nécessaire selon leur accusé de réception : 360 jours. À 47 ans, je ne suis pas une priorité. À ce rythme-là (j’imagine qu’il y aura des délais imprévus), ils pourront venir me rendre visite en maison de retraite. Une connaissance m’a bien expliqué que ce chiffre est uniquement politique : ils ont l’obligation de prodiguer le service en dedans d’un an. En bout de ligne, je ne suis pas du tout convaincue qu’ils pourront m’apporter les quelques morceaux encore manquants à ma gestion de la vie en société. Je continue d’investiguer par moi-même, suivant instinct et conseils épars, mais aussi avec des individus merveilleux qui m’offrent une aide ponctuelle en répondant à mes trop pointilleuses interrogations. De toute manière, j’ai déjà parcouru les premiers 90 % du chemin pratiquement toute seule.

Une autre des luttes importantes est l’incompréhension extérieure. Pour les gens immergés dans le milieu de l’autisme (intervenants directs, parents, autistes, famille élargie), le sujet est de mieux en mieux maitrisé. Mais pour tous les autres non concernés, ce ne sont que les préjugés et l’ignorance qui persistent. Je trouve que la sensibilisation et la communication est très forte à l’intérieur des groupes sociaux, entre parents, entre adultes TED. Mais je note que la sensibilisation ne se fait pas vraiment en dehors du réseau, au niveau du grand public, des médias. C’est une partie qui demeure largement à travailler.

Je croise beaucoup d’adultes motivés à faire progresser les choses. De plus en plus, ils se regroupent à mon grand ravissement : Aut’Créatifs[ii] au Québec, Magali Pignard et d’autres résistants face à la psychanalyse en France et militants pour la scolarisation des enfants autistes, les différentes branches des mouvements appuyant la neurodiversité à travers le monde, des auteurs autistes publiés ou qui planchent actuellement sur des œuvres salvatrices à venir. Et si finalement les autistes finissaient, eux à qui on a longtemps reproché d’être recroquevillés égoïstement sur eux-mêmes et de manquer au plus haut point d’empathie, par donner une authentique leçon de solidarité humaine? Tous mus par un même sentiment d’urgence, mais aussi un juste pressentiment d’être parmi les personnes stratégiquement les mieux positionnées pour améliorer toutes ces situations laborieuses. Ils sont parmi les personnes-clés que les spécialistes rejettent ou refusent d’écouter. Pourtant, ce sont bien les adultes autistes qui ont en leur possession les explications manquantes, les codes secrets d’initiés pour ouvrir les voutes et qui peuvent cocher les cases blanches appropriées.

Ce que je réalise aujourd’hui, c’est que nous devons apprendre à vivre dignement avec l’autisme et non à chercher à l’effacer comme une tache graisseuse. De toute manière, nous n’y parviendront sans doute jamais. En attendant, les autistes demeurent eux-mêmes avec un problème de taille à gérer au quotidien. Ils sont encastrés bien malgré eux dans une exigeante société où sortir de la masse est soit un signe de génie, soit un signe de maladie. La dernière hypothèse étant prioritairement retenu sans réflexion approfondie. Tout ce qui sort de la norme est systématiquement étiqueté de danger à bannir. On veut encore nous guérir, alors que ce qu’il faut c’est s’arrêter, comprendre et soutenir. Et trouver d’autres avenues de formation et d’aide, non pas en adaptant les modèles en vigueur pour les individus typiques, mais en repartant de zéro à la base, en tenant compte des besoins réels des autistes qui diffèrent de ceux de la masse.

Actuellement l’exigence de la société est à la conformité et à la standardisation sur un unique modèle: forcer les personnes du spectre autistique à devenir des individus typiques au lieu de se mettre à leur niveau (qui n’est pas plus bas, qui est juste légèrement vers la gauche sur la même ligne!). Et c’est encore et toujours à l’individu autiste à faire l’ultime poussée d’adrénaline, même en demeurant perçu comme celui qui est « déficient ». Tout comme le disait si bien Amanda Baggs[iii] : « Je trouve très intéressant qu’on perçoive le fait de ne pas parvenir à apprendre votre langage comme un déficit, mais qu’il vous semble naturel de ne pas réussir à apprendre le mien… ». Une rencontre à mi-chemin ne serait-elle pas la plus juste et acceptable des alternatives?


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J’en profite pour vous remercier, chers lecteurs, pour votre soutien indéfectible dans ce premier semestre de sensibilisation hebdomadaire. Sans vos encouragements, vos commentaires sur le blogue ou vos communications à mon intention sur Facebook, je n’aurais pas trouvé la force de me rendre à ce bilan de mi-parcours. Merci à vous de votre grande générosité.





[i] CRDI : au Québec : Centre de réadaptation en déficience intellectuelle. Ils ont également le mandat de s’occuper des « TSA ».
[ii] Regroupement pour et par des autistes adultes autonomes : http://autcreatifs.com/
[iii] Amanda Baggs est une activiste américaine militant pour les droits des autistes.


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