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C’est arrivé un de ces moches soirs
de semaine où on se repose étendu avec lassitude sur son douillet lit,
l’ordinateur portable gisant de tout son poids sur les genoux, le corps
négligemment drapé de linge mou et devenu difforme par l’usage constant. Une de
ces soirées floues où on ne s’attend surtout pas à ce que le plafond nous tombe
sans avertissement sur la caboche. Un de ces moments où l’on n’espère pas une
illumination soudaine et où on erre blasé sur les pages du Web au lieu de
vaquer à des occupations plus hautement intellectuelles. Mais la science
étonnement nous attend toujours au détour d’un post sur Facebook ou d’un
courriel à l’apparence anodine.
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C’est donc en laissant l’œil furtif
faire son savant slalom en diagonale, sur un message Facebook d’un ami, que
j’entraperçois un lien partagé timidement en commentaire. Petit, peu attractif,
car il ne semble avoir retenu l’attention de personne et aucune réaction n’est
venue souligner l’importance de cette récente découverte vitale faite par des
chercheurs américains. Une étude tellement fraîche qu’un article porte avec
fierté la mention « 27 janvier 2016 », alors que le mois de mars 2016
n’avait pas encore osé nous titiller du bout de son museau. Pourtant,
cette lecture m’a transfusé un léger tremblement corporel, le cœur a suspendu
son pompage perpétuel durant une milliseconde, ma vue s’est embrouillée, comme
chaque fois qu’une vérité m’agresse en plein visage, bonne ou mauvaise. Je
crois bien que je serais tombée en bas de ma chaise si je n’avais pas déjà été
étendue sur mon lit…
Une étude qui confirme mes impressions personnelles
On parle souvent d’autistes devenus
« indétectables » et je savais bien que pour plusieurs personnes
gravitant nouvellement autour de moi, en me scrutant, le mot
« autiste » ne semblait pas coller d’emblée avec l’image qu’ils se
faisaient de ce concept. Devenir indétectable, mais bon, toujours avec un
immense bémol. Encore aujourd’hui, il m’arrive chaque semaine d’entreprendre un
dialogue avec une personne et soudainement, pour une raison inconnue, de la
voir changer rudement d’attitude et se détourner sans cause apparente. Comme si
une impulsion électrique venait de l’alerter de fuir à la prochaine caserne de
pompier à distance de marche rapide pour maintenir sa vie sauve.
Pour certains autres me côtoyant
depuis longtemps, ma plus grande ouverture au dialogue, une meilleure
réciprocité au niveau des interactions à l’autre, une plus grande confiance en
moi évidente et une meilleure sociabilité semblaient amener un terme plus
troublant encore : guérison. Intérieurement, il ne me semblait pas avoir
vraiment changé lorsque je suis en solo avec moi-même ou dans mes pensées, sauf
qu’il m’arrivait fréquemment d’avoir l’impression d’avoir perdu de vue une
partie de mon essence autistique lorsque je suis avec d’autres personnes. Mais
devenir non-autiste, je sentais que ce n’était pas vers cette avenue que je me
dirigeais, car trop d’incompréhension des autres demeurait et mon décalage
continuel était toujours bien présent et parfois même plus voyant encore. Je ne
me sens pas moins autiste. Mais on me « voit moins autiste ».
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Depuis mon diagnostic, de nombreux
déclics se sont faits en moi. J’ai compris que je suis une personne différente
de la majorité de mes contemporains et que je regarde le monde avec mes yeux à
moi, d’une manière non déformée, mais particulièrement lucide. Trop peut-être,
à mon grand désarroi. Malgré de nombreuses adaptations sociales et une
compréhension accrue de l'univers environnant, je sens bien que je change. Mais
je me métamorphose en quoi, dites-moi donc ?
J’avoue que je suis une
ultrasensible, toujours alerte et vigilante à ce qui se passe à l’intérieur de
moi, constamment en introspection et à palper toute pensée qui vient me
narguer. Quand je m’immobilise, il me semble même que je peux sentir le sang
circuler à fière allure sur le long réseau routier de mon système sanguin. En
scrutant mon cerveau, il me semblait également que de nombreux circuits se
créaient sans cesse, qu’un recâblage se matérialisait. Je me disais que je
« by passais » les circuits habituels et que j’en établissais de tous
nouveaux, non standard. Voilà pourquoi cette étude m’a tellement estomaquée.
Elle venait valider, sceau indélébile de la science accolé clairement, mon
ressenti profond…
Perte de diagnostic d’autisme et
études scientifiques au Connecticut
À l’Université du Connecticut, sous
la direction de Inge-Marie Eigsti du département de psychologie, une équipe de
chercheurs s’est penchée sur les cas de jeunes autistes diagnostiqués durant
leur petite enfance et ayant perdu leur diagnostic au cours de leur
développement. La question première soulevée par la chercheure était d’établir
si ces derniers s’étaient mutés en neurotypiques avec l’aide de différentes
approches cognitives (notamment l’ABA) et selon leur adaptation sociale. En
apparence, il était possible d’envisager cette possibilité, dans la mesure où
la perte de diagnostic donnait l’impression d’une rémission spontanée et de
l’effacement de l’autisme chez ces sujets rendus pour la plupart à
l’adolescence.
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Dans le cadre de cette étude, trois
groupes distincts ont été testés. Le premier étant un groupe d’autistes de haut
niveau n’ayant obtenu aucune intervention et assistance au cours de leur
croissance, le second étant composé d’autistes ayant perdu leur diagnostic et
le troisième de jeunes au développement typique (non autiste). Avec le regard
objectivement scrutateur de la résonance magnétique, les sujets ont été soumis
à des examens au cours desquels ils devaient effectuer certaines tâches et
appuyer sur un bouton pour répondre à des questions préétablies.
L’approche était de valider si le
groupe de jeunes ayant perdu leur diagnostic d’autisme allait réagir de manière
similaire à celle du groupe au développement typique. La réponse a été négative et particulièrement surprenante. Pour
plusieurs des tâches demandées, ce groupe test appelé « oo » (optimal outcomes. En français : résultats
optimaux, pour de jeunes autistes dont les manifestations autistiques semblent
disparues) a répondu de manière similaire au groupe des autistes de
haut niveau qui n’avaient reçu aucune thérapie. Par contre, pour certaines
autres fonctions, il a été découvert que le groupe oo a développé des circuits
différents des deux autres groupes pour résoudre les situations à caractère social.
En bref, un troisième schéma cérébral se dessine pour les autistes
« adaptés ». Un schéma qui diffère totalement de celui des personnes
non autistes…
Cette révélation a sonné une
ribambelle de cloches dans ma tête et ce concert improvisé de carillons m’a
apporté une explication plus que logique à mon ressenti réel face à mon récent
développement personnel. L’autiste ne devient pas neurotypique avec les
interventions précoces, ou pour les seniors comme moi avec l’adaptation
sociale, mais il se crée ses propres schémas intérieurs. Des nouveaux, non
existants. Il roule donc sur une voie de service, en parallèle à l’autoroute,
mais il va dans la même direction. Cette adaptation lui donne alors une
apparence de guérison, mais les résultats des tests indiquent cependant
toujours clairement, pour plusieurs réponses aux questions soumises, que le sujet pense encore d’une manière
classiquement autistique.
Suggestions de lectures
complémentaires
Inge-Marie
Eigsti – Université du Connecticut
Plasticité du cerveau à tout âge
On parle beaucoup de la nécessité de
l’intervention précoce en matière de prise en charge des jeunes autistes. Il
est donc légitime de se demander si à partir d’un certain âge, toute
intervention ou tout soutien arrive trop tard. Je me suis longuement
questionnée à ce sujet, étant donné que mon apprentissage personnel au niveau
des interactions avec les autres s’est fait plus que tardivement. Cependant,
des changements drastiques se sont tout de même opérés sur une femme de plus de
40 ans, et ce, en quelques années seulement. Comment l’expliquer alors? Tout
simplement par la plasticité du cerveau. Pendant longtemps, la science a cru
que le cerveau se développait durant l’enfance et l’adolescence et qu’il se
figeait rendu aux tendres débuts de l’âge adulte vers les 21 ans. Après, plus
de mobilité possible. Uniquement la dégradation.
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De nombreuses recherches démontrent
actuellement que le cerveau continue de se développer sans cesse à l’âge
adulte, dans la mesure où il est suffisamment sollicité par la curiosité
intellectuelle et l’apprentissage. Dès que de nouvelles sphères du cerveau sont
mises en activité par l’acquisition de nouvelles aptitudes, des connexions
neuronales se forment et, peu importe l’âge du sujet, les neurones se
réorganisent pour permettre au cerveau la mise en place des branchements
nécessaires. Notre cerveau est donc en continuelle construction…
Suggestions de lectures
complémentaires
Disparition de l’autisme en
vieillissant
Plasticité du cerveau
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